AMF et mandats de perquisition : la Cour supérieure rappelle les grands principes en matière de protocoles de fouille
13 mai 2021
Auteurs : Sébastien C. Caron, Fanny Albrecht et Sébastien Girard.
Dans un récent dossier de délit d’initiés (Ettedgui c. Autorité des marchés financiers, 2020 QCCS 4494), la Cour supérieure du Québec rappelle les grands principes applicables en matière de protocoles de fouille. La Cour revient sur la distinction entre les renseignements couverts par le privilège avocat-client et ceux de nature privée saisis dans le cadre de l’exécution d’un mandat de perquisition.
La Cour réitère ainsi que le privilège avocat-client doit être protégé par l’imposition d’un protocole de fouille tout en rappelant que l’octroi d’un mandat de perquisition « empiètera nécessairement sur la vie privée » et qu’en ce qui a trait à la protection des renseignements de nature privée, l’imposition d’un protocole de fouille demeure à la discrétion du juge de paix magistrat.
Contexte
Dans le cadre d’une enquête visant des infractions de délits d’initié en contravention des articles 187, 188 et 189 de la Loi sur les valeurs mobilières, RLRQ, c. V-1.1 (« LVM »), l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») a obtenu un mandat de perquisition en vertu du Code de procédure pénale, RLRQ c C-25.1. L’AMF soupçonnait Monsieur Ettedgui, ancien chef de la direction de l’émetteur Colabor, et Messieurs Leclerc et Bracchi d’avoir réalisé des opérations sur le titre de Colabor sur la base d’informations privilégiées. Ce mandat permettait à l’AMF de saisir des informations en lien avec toute forme de communication entre eux.
Ettedgui s’est adressé à la Cour pour faire casser le mandat de perquisition et obtenir qu’un tiers procède à la fouille de son téléphone cellulaire en lieu et place des enquêteurs de l’AMF, et ce, non seulement pour filtrer ce qui pourrait faire l’objet du privilège avocat-client, mais également pour protéger sa vie privée.
Selon M. Ettedgui, les articles 5, 49 et 52 de la Charte canadienne, accordent une prépondérance au droit au respect de la vie privée face aux dispositions des autres lois, dont le Code de procédure pénale, si bien qu’en ne prévoyant rien dans le protocole de fouille pour protéger sa vie privée, le juge de paix magistrat aurait excédé sa compétence.
L’AMF a présenté une requête en irrecevabilité au motif que la demande d’Ettedgui n’avait aucune chance raisonnable de succès.
Les protocoles de fouille
Dans un arrêt rendu en 2013 (R. c. Vu, 2013 CSC 60 « Vu »), la Cour suprême du Canada a conclu que les protections de la charte canadienne ne requièrent pas de protocole de fouille lorsqu’une autorisation préalable est obtenue permettant la fouille d’un ordinateur ou d’un téléphone d’intelligent. Dans Ettedgui, la Cour supérieure conclut que ce principe trouve application en droit pénal provincial. Ainsi, un juge de paix magistrat exerçant sa discrétion d’imposer un protocole de fouille dans le cadre d’un mandat de perquisition autorisé par une loi provinciale ou une loi fédérale doit respecter les balises imposées par Vu et la jurisprudence subséquente.
Bien que la fouille d’un ordinateur ou d’un téléphone intelligent ouvre la porte à la fouille d’éléments de nature privée, la Cour supérieure rappelle que l’octroi d’un mandat de perquisition « empiètera nécessairement sur la vie privée » et que cet empiétement est nécessaire pour réaliser les objectifs de la perquisition.
Obligation du dénonciateur
Dans la déclaration sous serment sur laquelle le dénonciateur se fonde pour obtenir un mandat de perquisition, comme ce fut le cas dans Ettegui, le dénonciateur doit dévoiler tous les faits pertinents d’une manière complète et sincère, sans chercher à tromper le juge de paix magistrat ni à lui cacher des faits. Le dénonciateur doit y décrire les informations en sa possession, la manière dont ils ont été obtenus et leur importance (Uber Canada inc. c. Agence du revenu du Québec, 2016 QCCS 2158, par 32 et 33 « Uber ». Appel rejeté : Uber Canada inc. c. Agence du revenu du Québec, 2016 QCCA 1303. Demande d’autorisation d’appel rejetée : Uber Canada Inc. c. Agence du revenu du Québec, et al., 2017 CanLII 8563 (CSC)). Par ailleurs, la déclaration sous serment doit être rédigée avec soin, de manière objective et être lisible et compréhensible pour le juge à qui elle est présentée (Uber, par. 31).
Privilège avocat-client
Dans l’affaire Lavallee, (Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada. (Procureur général); R. c. Fink, 2002 CSC 61 « Lavallee ») la Cour suprême a établi des lignes directrices visant « à refléter les impératifs constitutionnels actuels en matière de protection du secret professionnel de l’avocat et à régir à la fois l’autorisation des perquisitions et la manière générale dont elles doivent être effectuées » (Lavallée, par. 49). Ces propos ont été repris dans l’arrêt Vu puis dans l’arrêt Miranda c. Richer, (2003 CSC 67 « Miranda »).
Dans le cas de M. Ettedgui, la Cour supérieure, en analysant le contenu de la dénonciation, conclut que la déclaration assermentée du dénonciateur démontre que M. Ettedgui avait utilisé des adresses électroniques personnelles et professionnelles pour commettre les gestes reprochés. La Cour conclut également que l’AMF, par une perquisition de son téléphone intelligent, souhaitait fouiller les différentes applications de communication qui avaient pu être utilisées à partir d’un tel appareil.
La Cour est d’avis que la preuve présentée par M. Ettedgui n’a pas démontré que le dénonciateur n’avait pas dévoilé au juge de paix magistrat des faits qu’il connaissait ou qu’il aurait dû connaître pour obtenir le mandat de perquisition, notamment quant à la question du privilège avocat-client.
Cependant, afin d’assurer le respect du privilège avocat-client, la Cour a conclu qu’un protocole de fouille devait être établi de consentement entre les parties ou imposé par le Tribunal. Elle a aussi ordonné que le téléphone cellulaire de M. Ettedgui demeure sous scellé jusqu’à ce qu’un protocole soit établi entre les parties ou imposé par le Tribunal.
Protection de la vie privée
Quant aux protections contre les saisies et les perquisitions abusives, lesquelles existent pour protéger la vie privée et varient suivant l’expectative de vie privée dans un cas donné, la Cour conclut que les principes gouvernant les perquisitions en matière criminelle trouvent application en droit réglementaire. Elle rejette donc l’argument de M. Ettedgui, qui prétendait que le droit provincial protégeait davantage la vie privée dans les cas de perquisitions effectuées en vertu du Code de procédure pénale.
La Cour supérieure conclut, à propos de la dénonciation, que la déclaration assermentée soumise au soutien du mandat contenait suffisamment de faits quant à la nature très intime des renseignements pouvant être saisis dans le cellulaire de M. Ettedgui. Ce faisant, le juge d’autorisation n’a pas excédé sa compétence en autorisant le mandat.
La Cour mentionne que les modalités d’exécution du mandat, bien qu’elles n’aient pas la portée que M. Ettedgui recherche par sa Demande, imposent déjà des modalités quant à la fouille de son téléphone par l’AMF. Par ailleurs, les choses recherchées dans le téléphone sont décrites d’une manière assez précise dans les documents fournis à l’appui du mandat.
Pour ces motifs, la Cour accueille la requête en irrecevabilité de l’AMF, sauf sur la question du privilège avocat-client tel qu’expliqué précédemment.
À retenir
L’intérêt de cette décision réside en la distinction du traitement judiciaire de renseignements saisis dans le cadre de l’exécution d’un mandat de perquisition.
D’une part, lorsqu’une personne faisant l’objet d’une perquisition soulève que des éléments saisis sont protégés par le privilège avocat-client, les parties doivent s’entendre sur un protocole de fouille, sous peine que celui-ci soit imposé par le Tribunal, afin de sauvegarder le privilège. La jurisprudence est constante sur l’importance fondamentale de ce privilège en droit canadien et sur la nécessité de le protéger.
D’autre part, en ce qui concerne la protection du droit à la vie privée d’une personne faisant l’objet d’une perquisition, l’imposition d’un protocole de fouille demeure dans ces cas à la discrétion du juge de paix magistrat.