Clauses de rachat forcé en cas de faute d’un actionnaire : La Cour d’appel du Québec confirme qu’il s’agit de clauses pénales
29 novembre 2022
Auteur: Jean Teboul
Dans l’arrêt 3903460 Canada inc. c. Elphin inc., 2022 QCCA 1445, la Cour d’appel du Québec s’est récemment prononcée sur la qualification des clauses de rachat forcée d’actions pour un prix inférieur à la juste valeur marchande.
Plus particulièrement, elle a confirmé qu’une telle clause entraînant le rachat suivant un acte volontaire fautif de l'un des actionnaires constitue une clause pénale (ou une clause de dommages liquidés). Elle a également conclu que, sans être abusives à leur face même, de telles clauses peuvent, selon les circonstances, être jugées comme telles et donner lieu à une réduction de la peine stipulée.
Les faits
Dans cette affaire opposant deux actionnaires, l’une des parties refusait d'effectuer un appel de fonds voté par le conseil d'administration. L’autre partie s'est alors prévalue d'une clause de rachat forcé à 10% de la juste valeur marchande stipulée dans une convention unanime entre actionnaires. L’actionnaire en défaut s'est alors adressé aux tribunaux, plaidant l’oppression (ce qui a été rejeté tant par la Cour supérieure que par la Cour d'appel) et, subsidiairement, le caractère abusif de la clause de rachat forcé.
La Cour supérieure a jugé que bien que la clause de rachat forcé emporte des conséquences draconiennes, il fallait donner effet à l'intention des parties dans la mesure où il n’était pas allégué qu’elle portait atteinte à l'ordre public ou à une autre règle de droit (3903469 Canada inc. c. Elphin inc., 2021 QCCS 381, para 94-96).
Le jugement de la Cour d’appel
La Cour d'appel a infirmé le jugement de la Cour supérieure sur ce dernier point.
Elle a jugé que « [l]e prix punitif et préétabli de 10 % de la juste valeur marchande des actions prévu dans cette clause s’applique dans les cas de fraude, de vol, d’une violation d’une clause de non-concurrence et lors de la violation d’une obligation stipulée dans la CUA [convention unanime des actionnaires]. Bref, cette clause vise à punir l’un des comportements répréhensibles décrits dans cette convention. En raison de ses objectifs évidents, cette clause ne peut autrement être qualifiée que de clause pénale [...] » (para 96).
Une clause pénale est en effet une clause « par laquelle les parties évaluent par anticipation les dommages-intérêts en stipulant que le débiteur se soumettra à une peine au cas où il n’exécuterait pas son obligation » (art. 1622 CcQ). Elle donne « droit au montant de la peine stipulée sans avoir à prouver le préjudice » subi (art. 1623 CcQ) et peut avoir deux visées. D’une part, elle permet au cocontractant d’être compensé du préjudice subi (le volet compensatoire) et, d’autre part, elle peut dans certains cas chercher à dissuader une partie de contrevenir à ses engagements en fixant une pénalité plus importante que la valeur du préjudice (le volet comminatoire).
En outre, une clause pénale peut être considérée comme intrinsèquement abusive (lorsqu’elle prévoit une pénalité telle qu’elle est toujours disproportionnée par rapport à ce qu’elle vise à sanctionner) ou circonstanciellement abusive (lorsqu’elle prévoit une pénalité qui, dans certains cas, peut être raisonnable, mais est disproportionnée au préjudice réellement subi dans d’autres situations).
En l’espèce, la Cour d’appel a refusé de conclure «qu’en toutes circonstances, l’on puisse considérer la clause litigieuse comme étant abusive à sa face même » (para 100).
Cela étant dit, elle a estimé que, dans les circonstances propres à cette affaire, la clause de rachat était abusive en ce que « la pénalité [...] est disproportionnée au préjudice réellement subi » (para 97).
Plus particulièrement, la Cour a évalué que les dommages véritablement subis par l’actionnaire ayant effectué l’avance de fonds à la place de l’actionnaire en défaut se limitaient aux intérêts dont il avait été privé, soit au plus 25 000 $. Elle a en outre conclu qu'une réduction arbitraire du prix de vente de 20%, soit 294 196 $, aurait été suffisante pour satisfaire l'objectif comminatoire recherché. Ainsi, une pénalité totale de 319 195,90 $ permettait, selon la Cour, de servir les objectifs compensatoire et dissuasif de la clause pénale (para 115).
Or, la pénalité découlant de l’application mécanique de la clause stipulée s'élevait à 1 323 881,55 $.
Pour la Cour, l’écart de plus d'un million de dollars « entre la pénalité totale de 319 195, 90 $ » à laquelle elle conclut et « la pénalité découlant de l’application sans nuance de la clause » est « à l'évidence beaucoup trop substantie[l] […] pour échapper à une conclusion d'abus ». Elle ajoutait en outre que « [l]e fait que les parties soient sophistiquées n’y change rien » (para 116). Ainsi, usant du pouvoir que lui confère l'article 1623 CcQ, elle a réduit le montant de la pénalité à 319 196 $.
Conclusion
Les parties devraient tenir compte de cet arrêt lorsqu’elles rédigent des clauses de rachat forcé dans des conventions entre actionnaires, notamment pour s’assurer qu’elles se conformeront bien aux exigences de validité qui sont particulières aux clauses pénales. Par exemple, de telles clauses doivent généralement prévoir un montant précis ou un mode détaillé de calcul (à l’exception, entre autres, des clauses de remboursements d’honoraires extrajudiciaires) (voir Groupe Van Houtte inc. (A.L. Van Houtte ltée) c. Développements industriels et commerciaux de Montréal inc., 2010 QCCA 1970). Leur réalisation ne doit pas non plus dépendre du seul consentement de la personne qui s’en prévaut.