Écarté sans fondement d’un appel d’offres : tout n’est pas perdu

5 mai 2023

Auteur: Nicolas Roche

Rares sont les décisions où le tribunal ordonne à un donneur d’ouvrage public d’indemniser le plus bas soumissionnaire dont la soumission a été rejetée dans le cadre d’un processus d’appel d’offres. C’est néanmoins la conclusion à laquelle est arrivée la Cour supérieure dans la décision Groupe Atwill-Morin inc. c. Construction de défense Canada[1].

Contexte

En janvier 2018, Construction de Défense Canada, une corporation du gouvernement fédéral, lance un appel d’offres public pour la réfection de toitures, de maçonnerie et de soffites de la Garnison Saint-Jean.

Construction de Défense Canada inclut dans son appel d’offres l’obligation de fournir, via la plateforme électronique de gestion d’appel d’offres Merx, « une garantie de soumission sous la forme d’un cautionnement de soumission électronique ou d’un virement bancaire », une formulation ambiguë qui constituera le cœur du litige.

Pour se plier à l’obligation de garantie de soumission, Groupe Atwill-Morin inc. (« Atwill-Morin ») dépose sur la plateforme électronique une numérisation en format PDF du cautionnement de soumission original papier émis par la société Intact. Le dépôt du fichier PDF est accepté par la plateforme électronique sans qu’aucun message d’erreur n’apparaisse, et celle-ci génère une confirmation de dépôt.

Atwill-Morin est le plus bas soumissionnaire, mais Construction de Défense Canada l’informe que sa soumission a été rejetée parce que le cautionnement en format PDF n’est pas « signé et scellé numériquement » et ne peut pas être vérifié de façon numérique. Construction de Défense Canada considère qu’elle n’a aucune discrétion pour permettre la correction de cette irrégularité. Elle retient plutôt la soumission du second plus bas soumissionnaire dont le cautionnement numérique n’est pourtant pas signé par un témoin, contrairement aux exigences de l’appel d’offres. Construction de Défense de Canada considère toutefois que cette absence de signature constitue une anomalie administrative mineure et y passe outre. Atwill-Morin tente en vain de faire suspendre l’attribution du contrat au deuxième plus bas soumissionnaire, puis elle se tourne vers la Cour supérieure pour être indemnisée de sa perte de profits.

Décision

L’honorable Daniel Urbas, j.c.s., accueille l’action en dommages d’Atwill-Morin et condamne Construction de Défense Canada à lui payer 646 156 $, plus intérêts et l’indemnité additionnelle depuis 2018. Il conclut qu’il y avait effectivement irrégularité dans la soumission d’Atwill-Morin, mais que cette irrégularité était mineure, notamment en ce qu’elle n’affectait pas le principe d’égalité entre les soumissionnaires.

Pour la Cour, Construction de Défense Canada a ainsi manqué aux obligations contractuelles que lui imposait l’appel d’offres en rejetant la soumission d’Atwill-Morin sans même considérer s’il était opportun de permettre la correction de cette irrégularité mineure. Le juge Urbas conclut que la prépondérance de la preuve démontre que si Construction de Défense Canada ne s’était avait exercé son pouvoir discrétionnaire, elle aurait permis à Atwill-Morin de corriger sa soumission afin de minimiser le coût des travaux et de faire économiser de l’argent aux contribuables, puisque l’authentification du cautionnement n’aurait nécessité que quelques minutes.

Le tribunal conclut également que les instructions données par Construction de Défense Canada aux soumissionnaires portaient à confusion quant à ce qui constituait un cautionnement électronique versus numérique et que ses propres représentants peinaient à les interpréter. Partant, Construction de Défense Canada pouvait difficilement reprocher à Atwill-Morin de ne pas les avoir suivies comme elle aurait aimé qu’elles soient comprises.

Il est à noter que le Tribunal en vient à cette conclusion en dépit du fait qu’il estime que les représentants de Construction de Défense Canada ont agi de bonne foi, puisque l’existence de la bonne foi n’est pas un motif permettant de conclure à l’absence de faute contractuelle.

À retenir

La victoire de Groupe Atwill-Morin – qui était représentée par Me Nicolas Roche et Me David Joanisse, de LCM Avocats inc. – est une victoire significative dans la mesure où il est peu fréquent que les tribunaux acceptent d’indemniser les pertes de profits subies par un soumissionnaire dont la soumission a été erronément écartée d’un processus d’appel d’offres.

Cette décision met notamment de l’avant le fait que lorsqu’un organisme qui gère des fonds publics dispose d’une discrétion lui permettant de corriger des irrégularités mineures dans une soumission, et d’ainsi épargner des fonds publics, il se doit de l’exercer.

Construction de Défense Canada a porté en appel la décision de la Cour supérieure. L’affaire est donc à suivre !

[1] 2022 QCCS 4512.