Infraction pénale à la Loi sur les valeurs mobilières : la Cour d’appel se penche sur la question de la preuve de la culpabilité morale
10 mars 2022
Auteurs : Sébastien C. Caron et Fanny Albrecht
Dans un arrêt récent, la Cour d’appel (Heller c. Autorité des marchés financiers, 2022 QCCA 208) a jugé que la mens rea générale (connaissance, intention ou insouciance du défendeur) devait être prouvée hors de tout doute raisonnable par la poursuite lorsque l’article 208 de la Loi sur les valeurs mobilières (« LVM »), disposant que « celui qui, par son acte ou son omission, aide quelqu’un à commettre une infraction est coupable de cette infraction comme s’il l’avait commise lui-même » était en cause. Par cet arrêt, la Cour d’appel précise que l’infraction de l’article 208 de la LVM ne se satisfait pas de la norme de la responsabilité stricte (pour laquelle le poursuivant n’a pas à démontrer l’intention coupable) et exige la preuve de la culpabilité morale de type mens rea.
CONTEXTE
Michael E. Heller a été déclaré coupable de huit chefs d’infraction d’aide au placement d’une valeur mobilière. Il a notamment été jugé qu’il avait joué, à titre d’avocat, de secrétaire corporatif et d’administrateur de la société Beluga Composites Corporation, un rôle essentiel en aidant cette dernière à procéder au placement de ses titres, et ce alors que cette dernière ne détenait pas de prospectus comme l’exige la LVM.
ARRÊT DE LA COUR D’APPEL
La Cour d’appel rappelle que selon les enseignements de la Cour suprême, les infractions règlementaires (c’est-à-dire celles adoptées pour le bien-être du public, mais sans être criminelles) sont présumées être de responsabilité stricte alors que les infractions criminelles sont plutôt présumées être de « mens rea » requérant ainsi la preuve de l’intention coupable du défendeur.
Elle réitère que la Loi sur les valeurs mobilières est une loi règlementaire visant des infractions présumées être de responsabilité stricte ne requérant pas d’intention coupable.
Toutefois, la Cour d’appel juge, en ce qui concerne spécifiquement l’article 208 de la LVM, qu’il ne constitue pas une infraction autonome mais établit un mode de participation de l’infraction qui ne se limite pas à des personnes précises encadrées par la règlementation, et par conséquent ne peut être soumis à la norme de responsabilité stricte :
[32] […]
- Ainsi, comme le souligne cette cour dans Demers, l'art. 208 LVM peut englober la conduite d’un « simple commis » peu au fait de la situation de son employeur, mais qui peut néanmoins être l’objet d’un constat d’infraction;
- Or, le régime de la responsabilité stricte se justifie en partie par le fait que les personnes qui exercent des activités réglementées acceptent au préalable de se soumettre à des normes strictes et reconnaissent qu’elles seront tenues de respecter ces normes en faisant preuve de diligence raisonnable; cette caractéristique se conjugue mal avec la situation d’un employé de bureau;
- Aucun arrêt de cette Cour ou de la Cour suprême n’a tranché la question du niveau de responsabilité pénale requis par l'art. 208 LVM;
- Pour ce faire, il est nécessaire de distinguer les dispositions créant des infractions autonomes de celles qui prévoient uniquement un mode de participation.
[Nos soulignements]
En outre, la Cour d’appel insiste sur la portée particulièrement large de l’article 208 de la LVM englobant les agissements de personnes (telles qu’un commis ou un livreur) qui, sans le savoir, peuvent aider une entreprise à perpétrer une infraction à la LVM. La Cour ajoute que bien que ces personnes seraient probablement acquittées si elles étaient accusées, il n’en demeure pas moins qu’elles devraient se défendre en démontrant leur diligence raisonnable si l’article 208 de la LVM était soumis à la norme de la responsabilité stricte, « une injustice profonde » selon la Cour d’appel.
En conclusion, la Cour d’appel juge que la Cour supérieure a erré en concluant que l’article 208 de la LVM était une disposition législative créatrice d’une infraction de responsabilité stricte et confirme que la mens rea générale, c’est-à-dire la connaissance, l’intention ou l’insouciance du défendeur, doit être prouvée hors de tout doute raisonnable par la poursuite. Elle ajoute que cette preuve a bien été faite par l’Autorité des marchés financiers dans le présent dossier.
À RETENIR
En soulignant que la poursuite (Autorité des marchés financiers) doit faire la preuve de la connaissance, l’intention ou l’insouciance du défendeur accusé d’aide à la commission d’une infraction en vertu de l’article 208 de la LVM, la Cour confirme l’importance – dans certains cas spécifiques - de la preuve de la culpabilité morale en matière pénale et règlementaire.