L’injonction Mareva à l’ère des cryptomonnaies

22 février 2022

Auteurs: Dominique Ménard et Nicholas Daudelin

La toute récente décision de la Cour supérieure de l’Ontario d’ordonner le gel des portefeuilles de cryptomonnaies (Bitcoins, Ethereum, Litecoin, etc.)[1] de plusieurs individus liés à l’organisation du soi-disant « Convoi de la liberté » rappelle à la fois l’intérêt des ordonnance Mareva par rapport aux ordonnances traditionnelles de saisies avant jugement, de même que les défis que présentent les cryptodevises et autres actifs numériques pour le maintien de l’autorité des tribunaux.

L’injonction Mareva est une ordonnance judiciaire visant directement une personne et l’empêchant de diminuer la valeur de ses actifs dès le moment où elle est prononcée. L’objectif est simple : protéger efficacement le droit d’un créancier d’obtenir le recouvrement de sa créance jusqu’à ce qu’une décision sur le bien-fondé de celle-ci soit rendue. Ce droit pourra mériter la protection offerte par l’injonction Mareva lorsqu’il existe une crainte raisonnable que le débiteur dissipera autrement ses actifs. Elle est donc généralement demandée dès l’institution des procédures et visera à s’appliquer pendant toute l’instance et la période d’exécution d’un jugement au fond de l’affaire.

Depuis plusieurs années, l’injonction Mareva est utilisée conjointement avec la saisie avant jugement. Son utilisation s’est répandue notamment en raison de la flexibilité qu’elle confère en matière d’exécution. Si la saisie avant jugement requiert qu’on identifie précisément le bien saisi, il en va autrement pour l’injonction Mareva, qui vise la personne du débiteur. Ainsi, dès qu’elle est prononcée elle peut s’appliquer sur tout nouvel actif qu’un créancier pourrait ensuite découvrir – sans besoin de déposer une nouvelle procédure de saisie à titre d’exemple.  L’institution financière qui se voit signifier une injonction Mareva sera tenue de geler le compte du débiteur tout comme s’il avait fait l’objet d’une saisie. Il en va désormais de même pour les biens immeubles à la suite d’un arrêt de la Cour d’appel reconnaissant que les droits découlant d’une injonction Mareva sont publiables au registre foncier et ainsi, opposables aux tiers[2].

Si l’injonction Mareva s’est avérée jusqu’à présent un formidable outil de protection pour les créanciers, elle entre désormais dans une nouvelle ère où son exécution se complexifiera. En effet, de plus en plus de débiteurs détiennent des actifs numériques, incluant des cryptomonnaies. Il ne s’agit pas de sommes marginales ou d’une tendance éphémère, mais bien d’un mouvement de fond en matière de détention d’actifs.

Émise dans le cadre de l’action collective instituée par des résidents d’Ottawa contre certains organisateurs du « Convoi de la liberté », la décision rendue par la Cour supérieure de l’Ontario le 17 février dernier en est une illustration[3]. Le juge MacLeod a émis une injonction Mareva à l’égard de plusieurs personnes qui auraient participé à ces événements et a ordonné le gel d’actifs détenus en cryptomonnaies (Bitcoins, Ethereum, Litecoin, etc.). Une ordonnance similaire n’a jamais encore été rendue au Québec. Or, certains portefeuilles d’actifs numériques ont déjà réagi à cette ordonnance en affirmant qu’elle n’était pas exécutable en raison de l’impossibilité technique qu’il y aurait à identifier les détenteurs des comptes de cryptomonnaies détenus sur leurs plateformes, impossibilité qui est en fait de l’essence même de ces plateformes. La seule information qu’auraient les opérateurs des plateformes serait ainsi l’adresse courriel de la personne qui effectue les transactions dans le portefeuille d’actifs. Les plateformes soutiennent également qu’elles ne peuvent sur le plan technique « geler » ces actifs puisqu’elles ne détiennent pas les « clés » que constituent les codes confirmant la détention d’une cryptomonnaie.

Indépendamment du bien-fondé de ces arguments, qui seront sous peu débattus devant la Cour supérieure de l’Ontario, la réaction de ces plateformes numériques soulève l’importance d’ajouter   des conclusions additionnelles visant la personne à l’égard de qui l’injonction Mareva doit être rendue.

Peut-être pourrait-on s’inspirer des ordonnances accessoires rendues en matière d’ordonnances Anton Piller, qui empêchent une personne d’utiliser ses appareils électroniques avant d’avoir au préalable dévoilé les mots de passe permettant d’accéder aux plateformes et serveurs sur lesquels de l’information pourrait servir de preuve au litige entrepris. L’ordonnance Mareva pourrait prévoir l’obligation pour la personne visée de dévoiler sur-le-champ, à l’huissier, ses « clés » de cryptomonnaies, et lui interdire d’utiliser des appareils électroniques et d’accéder à tout portefeuille numérique avant que l’opérateur du service de portefeuille numérique n’ait confirmé que les actifs ne peuvent être désormais transigés. Il faudrait également prévoir l’obligation pour la personne visée de dévoiler sans délai l’ensemble des portefeuilles numériques qu’elle détient, de même que les adresses courriels qu’elle utilise pour y effectuer des transactions.

La décision rendue par la Cour supérieure de l’Ontario démontre que l’injonction Mareva entre désormais dans une nouvelle ère, celle des actifs numériques. Si les critères d’émission de ce recours demeurent les mêmes, les paramètres de son exécution divergent quant à eux fortement, et il sera essentiel de trouver des solutions pour que cet univers d’actifs n’échappe pas à l’autorité des tribunaux.

[1] Li et al. v. Barber et al., CV-22-00088514-00CP.

[2] Desjardins assurances générales inc. c. Malo, 2020 QCCA 462.

[3] Li et al. v. Barber et al., CV-22-00088514-00CP.