La confidentialité d’une médiation interdit-elle de faire la preuve du règlement intervenu ?

20 janvier 2022

Auteurs: Patrick Ferland (associé) et Réginal Labonté (avocat)

Les parties qui s’engagent dans un processus de médiation espèrent en arriver à un règlement définitif de leur litige, et ne pas avoir de difficulté à en assurer ensuite le respect. Il arrive toutefois qu’une partie doive s’adresser aux tribunaux pour faire homologuer l’entente intervenue en médiation, que ce soit parce qu’une partie revient sur sa parole ou que les parties ne s’entendent pas sur les termes exacts de l’entente.

Bien que les communications échangées pendant la médiation soient en principe couvertes par le privilège relatif aux règlements, une exception au privilège permettra généralement à une partie de faire la preuve de l’entente qui serait intervenue durant la médiation – par exemple dans le contexte d’une demande d’homologation du règlement.

Le droit d’invoquer cette exception au privilège n’est toutefois pas absolu. Dans son arrêt récent Association de médiation familiale du Québec c. Bouvier, 2021 CSC 54, la Cour suprême confirme que les parties à une médiation peuvent écarter l’exception au privilège en interdisant toute divulgation de leurs échanges, y compris dans le cadre d’une demande d’homologation. Ce faisant, la Cour réitère les principes qu’elle avait établi dans Union Carbide Canada inc. c. Bombardier inc., 2014 CSC 35 et en précise les paramètres.

La majorité rappelle ainsi que pour qu’une clause de confidentialité ait cet effet, elle doit le prévoir clairement. Il n’est pas suffisant de prévoir que la médiation sera confidentielle; il doit ressortir que les parties souhaitaient écarter toute exception au privilège, y compris aux fins de démontrer l’existence d’une entente. Autrement, interdire à une partie de faire la preuve de l’entente intervenue lors de la médiation « équivaudrait à ignorer l’intention première des parties qui s’engagent dans un processus de médiation, tout en rendant impossible l’exécution d’une entente valide qui ne pourrait être comprise correctement que dans le contexte des communications faites durant la médiation » (par. 113). Cela permettrait à une partie de mauvaise foi de revenir sur sa parole et de nier l’entente conclue pendant la médiation (par 105).

La minorité diverge d’opinion avec la majorité en ce qui a trait à l’application des principes de l’arrêt Union Carbide (rendu en matière de médiation commerciale) dans le contexte de la médiation familiale en cause dans Bouvier. Pour la minorité, la spécificité du processus de médiation familiale, de même que le contexte difficile et émotionnellement chargé de ce type de médiation, militent en faveur d’interdire la mise en preuve de tout document ou échange qui en émane, incluant le sommaire préparé par le médiateur.

La majorité refuse d’aller aussi loin. Pour elle, la conclusion d’une entente réglant le différend est un objectif partagé tant par la médiation familiale que par la médiation civile et commerciale, et à moins d’une clause l'interdiant clairement, une partie devrait être autorisée à prouver qu'une telle entente est intervenue durant la médiation.

Par ailleurs, la majorité souligne qu’une clause de confidentialité ne peut avoir pour effet d’écarter le pouvoir de surveillance du tribunal sur les questions qui relèvent de l’ordre public (à titre d’exemple, en matière familiale, les parties ne pourront priver le tribunal de son droit d’intervenir à l’égard d’enjeux comme la garde des enfants). La majorité rappelle de plus qu’il existe d’autres exceptions au privilège, notamment en cas de fraude ou de faute professionnelle du médiateur (par. 96).

Quelle que soit la nature du différend soumis à la médiation, l’arrêt Bouvier rappelle aux parties qu’elles doivent porter une attention particulière à l’entente de médiation qu’elles s’apprêtent à signer, et surtout aux clauses de confidentialité qu’elle contient. Elles devraient évidemment s’assurer que si une entente de règlement intervient, ses termes sont suffisamment clairs pour éviter toute ambiguïté, mais elles devraient également déterminer à l’avance la nature de la preuve qu’elles pourront faire devant le tribunal en cas de dispute quant à l’entente qu'elles pourraient conclure.