LA COVID-19 ET LES ASSEMBLÉES CORPORATIVES À DISTANCE

25 mai 2020

Alors que s’étire la période de crise causée par la COVID-19, les sociétés continuent d’être confrontées à des défis importants, qui requièrent la prise de décisions importantes dans un contexte peu propice aux réunions et autres rassemblements. Si tous sont maintenant familiers avec les échanges en petit groupe par l’entremise des diverses plateformes de visioconférence, qu’en est-il de la possibilité de tenir de manière entièrement virtuelle des réunions et assemblées statutaires, qu’il s’agisse de réunions de conseil d’administration ou d’assemblées d’actionnaires?

Cette façon de faire est évidemment fréquente pour les réunions de conseils d’administration, mais elle commence à se répandre aussi pour les assemblées d’actionnaires. Ainsi, certaines sociétés ouvertes ont annoncé récemment leur intention de tenir virtuellement leur prochaine assemblée générale annuelle des actionnaires, qu’il s’agisse de Telus Corporation, de la Banque CIBC ou des Industries Lassonde inc., pour ne nommer que celles-là.

Le présent article offre un survol des règles en place à cet égard, de même que des récents assouplissements décrétés au Québec pour répondre aux impératifs de la crise sanitaire actuelle.

Qu’est-ce qu’une assemblée virtuelle ?

À proprement parler, une assemblée entièrement virtuelle (et nous parlons ici tant des assemblées des actionnaires que des réunions d’administrateurs) en est une qui se tient uniquement à distance, à l’aide de moyens technologiques, sans la présence physique d’aucun des participants. Les assemblées peuvent toutefois prendre une forme « hybride », certains participants y assistant en personne tandis que d’autres y prennent part à distance, par l’entremise d’un moyen électronique de communication. Dans le cas d’une assemblée d’actionnaires, par exemple, l’assemblée pourrait avoir lieu physiquement dans un endroit déterminé, en présence des actionnaires qui le souhaitent, alors que ceux qui ne peuvent s’y rendre ou qui souhaitent éviter une rencontre en personne pourraient participer à distance.

Dans le cas de sociétés ouvertes, où les actionnaires sont généralement nombreux, des plateformes telles que LUMI Global ou Broadridge Financial Services permettent aux émetteurs d’héberger leur assemblée. De manière moins formelle (et moins coûteuse), plusieurs logiciels et applications sont disponibles, lesquels se sont multipliés depuis quelque temps.

Quelle que soit la formule retenue ou les moyens technologiques utilisés, l’important est toutefois que tous les participants soient en mesure de véritablement prendre part à l’assemblée, c’est-à-dire d’entendre les échanges, de poser des questions et d’exercer leur droit de vote.

Les assemblées virtuelles sont également de plus en plus utilisées entre les administrateurs à l’occasion des réunions du conseil d’administration, où les exigences de formalisme, habituellement moins rigoureuses, permettent d’opter plus aisément pour de telles solutions.

Bref, les assemblées virtuelles et hybrides constituent un moyen intéressant afin de tenir les assemblées, autant pour de plus petites sociétés privées, avec peu d’actionnaires, que pour des sociétés publiques.

Qui peut tenir une assemblée virtuelle ?

En ce qui a trait à la tenue de réunions ou d’assemblées virtuelles, les sociétés constituées en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la « LCSA ») et celles constituées en vertu de la Loi sur les sociétés par actions (la « LSAQ ») sont soumises à des régimes semblables, les dispositions des deux lois étant largement similaires. Tel qu’il en sera question plus loin, cependant, le gouvernement québécois a assoupli temporairement les règles applicables aux sociétés régies par les lois du Québec de façon à permettre plus largement la tenue de réunions et d’assemblées virtuelles pendant l’actuelle période de crise sanitaire.

Pour ce qui est des réunions du conseil d’administration, elles peuvent en temps normal avoir lieu par la voie de moyens technologiques si les règlements de la société ne l’interdisent pas et que tous les administrateurs y consentent, incluant ceux qui n’assistent pas à la réunion (art. 137 LCSA, 114 (9) LSAQ). Les règlements de la société peuvent toutefois modifier ou éliminer cette exigence de consentement unanime. Il faut toutefois rappeler que la tenue d’une réunion n’est pas toujours nécessaire. En effet, les administrateurs peuvent également choisir de procéder par résolution écrite, signée par tous les administrateurs habiles à voter sur la résolution, plutôt que de tenir une réunion du conseil d’administration (art. 117 LCSA, 140 LSAQ). Dans ce cas, l’approbation de l’administrateur peut même se faire par signature électronique, cette dernière ayant la même valeur.

Quant aux assemblées des actionnaires, les deux lois prévoient des règles quelque peu différentes suivant que la participation virtuelle est une option donnée aux actionnaires (en ce sens que leur présence physique à l’assemblée demeure possible) ou qu’elle est la seule option disponible (en ce sens que l’assemblée ne se tient que par voie technologique).

Ainsi, l’article 132 (4) LCSA et l’article 174 LSAQ prévoient qu’à moins que les règlements de la société ne s’y opposent, toute personne ayant droit d’assister à une assemblée peut y participer par tout moyen permettant à tous les participants de communiquer immédiatement entre eux[i]. Il n’est donc pas nécessaire de le prévoir expressément. Par contre, pour qu’une assemblée puisse être tenue uniquement de manière virtuelle, il est normalement nécessaire que le règlement intérieur de la société le prévoie expressément (art. 132 (5) LCSA, art. 175 LSAQ).

Quorum et droit de vote

Bien que les assemblées virtuelles soient permises, le recours à des moyens technologiques est néanmoins susceptible de poser des difficultés dans certains cas. Par exemple, si la technologique employée se révèle inadéquate ou n’est pas suffisamment accessibles à tous, l’atteinte du quorum nécessaire à la tenue de l’assemblée pourrait être compromise. Plus encore, l’assemblée et les résolutions qui y ont été adoptées pourraient être contestées.

En effet, le respect des règles en matière de quorum demeure essentiel afin que l’assemblée puisse avoir lieu. La tenue d’assemblées hybrides pourrait pallier certaines problématiques posées par les assemblées virtuelles, notamment dans le cas où les participants physiquement présents détiennent suffisamment de procurations pour assurer le quorum.

Un autre enjeu concerne l’exercice du droit de vote. Permettre ou imposer à un participant de prendre part à une assemblée par un moyen technologique ne doit évidemment pas le priver d’exercer son droit de vote. Tant la LCSA que la LSAQ permettent le vote par tout moyen dans la mesure où une seule méthode de vote est utilisée, que celui-ci permet de s’assurer de l’identité du participant, et que le caractère secret du scrutin peut être préservé[ii]. Par exemple, une étude comptable ou légale indépendante et impartiale pourrait être retenue afin de recueillir et de comptabiliser les votes.

En ce qui a trait aux réunions du conseil d’administration, ces règles sont similaires (art. 114 (9) LCSA, art. 137 LSAQ).

Les mesures spécifiques adoptées pour répondre à la situation causée par la COVID-19

Le 26 avril 2020, l’arrêté ministériel numéro 2020-029 (l’« Arrêté ministériel ») a été adopté par la ministre de la Santé et des Services sociaux en vertu de la Loi sur la santé publique. Cet arrêté prévoit que pour la durée de la déclaration d’état d’urgence sanitaire, « toute réunion, séance ou assemblée qui a lieu en personne, y compris celle d’un organe délibérant, [peut] se tenir à l’aide d’un moyen permettant à tous les membres de communiquer immédiatement entre eux ».

Le 27 avril 2020, la ministre de la Justice a confirmé par communiqué que cet arrêté ministériel permettait la tenue d’assemblées virtuelles même lorsque les règlements internes interdisent normalement la participation à une assemblée par des moyens technologiques. Elle a également confirmé que cette règle s’appliquait aux sociétés par actions constituées en vertu de la LSAQ, de même qu’aux entités suivantes :

  • les personnes morales sans but lucratif constituées en vertu de la Partie III de la Loi sur les compagnies[iii];
  • les coopératives constituées en vertu de la Loi sur les coopératives[iv];
  • les sociétés de personnes (telles que les sociétés en nom collectif);
  • les ordres professionnels ; et
  • les syndicats de copropriété.

Il est à noter que cet arrêté ministériel ne s’applique pas aux sociétés régies par la LCSA, par une autre loi fédérale ou par les lois d’une autre province.

L’Arrêté ministériel 2020-029 précise de plus que dans le cas d’une assemblée publique, celle-ci doit être publicisée dès que possible de façon à permettre au public de connaître la teneur des discussions entre les participants et le résultat de la délibération des membres.

Si un vote secret est requis, l’arrêté prévoit que celui-ci pourra être tenu par tout moyen qui sera accepté par l’ensemble des personnes ayant le droit de vote. À défaut, le moyen choisi par la société devra permettre de recueillir les votes de façon qu’ils puissent être vérifiés ultérieurement, en plus d’assurer le caractère secret du vote.

Le recours possible aux tribunaux

En cas de doute quant à la possibilité de tenir une assemblée virtuelle, une société pourrait dans certains cas vouloir obtenir au préalable une ordonnance du tribunal. Dans un contexte de recours en oppression, actuel ou potentiel, l’obtention d’une telle ordonnance pourrait être souhaitable afin d’éviter la paralysie des affaires de la société tout en évitant les allégations d’atteinte aux attentes raisonnables des parties intéressées.

On peut penser que dans la foulée de la crise sanitaire actuelle, les actionnaires pourraient eux-mêmes de plus en plus exiger que les sociétés permettent la participation virtuelle à leurs assemblées. On peut également penser que les tribunaux se montreront davantage favorables à l’émission d’ordonnances les autorisant malgré la présence de règles et d’usages contraires au sein de la société. (À cet égard, rappelons que malgré la suspension actuelle des délais et d’une bonne partie des activités judiciaires, il demeure possible de saisir les tribunaux en cas d’urgence – voir notre billet sur l’impact de cette suspension des délais).

Quelques recommandations

Avant de tenir une assemblée virtuelle, voici quelques recommandations et éléments que dirigeants et administrateurs devraient avoir en tête :

  • Vérifications préalables : La loi constitutive et les règlements de la société devraient être révisés en vue de s’assurer de respecter les conditions nécessaires à la convocation, à l’obtention des procurations, au quorum et à la tenue d’une assemblée.
  • Organisation de l’assemblée : En vue de l’assemblée, la plateforme ou le moyen technologique qui sera utilisé devrait faire l’objet d’essais préalables afin de s’assurer de son bon fonctionnement. Les diverses fonctionnalités permettant aux participants d’échanger et de voter devraient également être bien comprises par les responsables de l’assemblée. Au besoin, la société ne devrait pas hésiter à retenir les services de spécialistes en technologie de l’information.
  • Participation des actionnaires : Les communications aux actionnaires devraient être claires et contenir toutes les informations nécessaires afin de permettre aux actionnaires d’accéder à l’assemblée. Faire preuve de transparence devrait être la règle et la participation des actionnaires devrait être favorisée. De plus, les actionnaires peuvent être encouragés à voter par procuration, par l’intermédiaire du site web de la société ou selon un autre moyen.
  • Tenue de l’assemblée : Afin d’assurer le bon déroulement de l’assemblée, des règles et procédures appropriées – exhaustives mais néanmoins souples – devraient être adoptées au préalable et communiquées aux actionnaires.
  • Report de l’assemblée : Dans le cas où la société ne serait pas autorisée à procéder à distance ou qu’elle ne pourrait mettre en place un moyen technologique appropriée pour ce faire, il peut être judicieux, dans les cas qui le permettent, d’envisager le report de l’assemblée ou de la réunion en vue de maximiser la participation ou d’assurer la sécurité des participants. En cas d’urgence, les sociétés devraient envisager d’avoir recours aux tribunaux.

Évidemment, selon la situation propre à chaque société, d’autres éléments pourraient être pris en compte.

Conclusion

La tenue d’une assemblée virtuelle constitue une solution intéressante et devrait être priorisée dans la mesure où elle permet aux sociétés de se conformer à leurs obligations légales et à leurs obligations envers les actionnaires.

Par ailleurs, l’Arrêté ministériel permettra assurément à plusieurs entités régies par les lois du Québec de privilégier la tenue d’assemblées à distance. Ce faisant, leurs affaires pourront se poursuivre, tout en respectant les consignes de santé et de sécurité publique. Souhaitons qu’une mesure similaire soit également adoptée pour les sociétés régies par les lois fédérales.

***

[i] Soulignons que le libellé des lois fédérale et québécoise diffère quelque peu en ce qui a trait à la nature des moyens technologiques qui peuvent être employés. Alors que la loi fédérale prévoit que le moyen utilisé doit permettre à tous les participants « de communiquer adéquatement entre eux » (art. 132 (4) et (5) LCSA), la loi québécoise prévoit qu’il doit leur permettre « de communiquer immédiatement entre eux » (art. 174 et 175 LSAQ). Ce même libellé se retrouve à l’article 344 du Code civil du Québec.

[ii] Pour les sociétés régies par la Loi canadienne, voir : Loi canadienne, art. 141 (3) ; Règlement sur les sociétés par actions (2001), art. 45. Pour les sociétés régies par la Loi québécoise, voir : Au provincial Loi québécoise, art. 183.

[iii] De manière générale, voir également : Loi sur les compagnies, art. 89.2.

[iv] De manière générale, voir également : Loi sur les coopératives, art. 79.1 et 95.