L’histoire d’un « ou » dans la langue juridique, l’exemple récent du testament devant témoins

27 octobre 2022

Auteur: Nicholas Daudelin.

On sait bien qu’en droit, le « sens des mots » est important. On imagine souvent que les débats de sémantique visent des mots moins usuels et alambiqués dont la signification n’est pas connue de tous. Or, les grands débats sur le « sens des mots » concernent bien souvent les expressions les plus communes, celles parsemant notre quotidien.

Dans une décision récente, la Cour supérieure s’intéresse au sens que doit revêtir la conjonction « ou » à l’article 727 du Code civil du Québec qui prévoit que le testament devant témoins peut être rédigé par le testateur ou par un tiers (Succession de Gélinas, 2022 QCCS 3098). Appelée à se prononcer sur la question, la Cour ne limite pas son analyse de la portée de la conjonction « ou » à cette disposition du droit successoral, mais l’analyse dans une perspective globale pour le droit québécois.

Mme Thibault est la nièce du défunt, M. Gélinas. Elle demande la vérification du testament intervenu devant témoins. Cette vérification est contestée par la Fondation du Foyer de Rigaud (Fondation) où a déjà habité M. Gélinas. La Fondation était en effet la seule légataire des biens de M. Gélinas en vertu d’un testament notarié antérieur.

Le testament en question est du type formulaire à remplir que l’on retrouve sur Internet. La travailleuse sociale de M. Gélinas, Mme Blanchard, lui a remis le formulaire et l’a aidé à le remplir en raison de la dégénérescence maculaire dont il souffre. Mme Blanchard a ainsi rempli certaines sections tandis que d’autres ont été entièrement rédigées par M. Gélinas. La participation de Mme Blanchard à la rédaction est marginale et elle ne reçoit aucun bénéfice en vertu du testament. Le formulaire a ensuite été signé par M. Gélinas devant deux témoins : Mme Blanchard et une préposée aux bénéficiaires.

Devant la Cour, la Fondation soutient que le testament de M. Gélinas n’est pas valide. Selon elle, en édictant que le testament devant témoins « est écrit par le testateur ou par un tiers », l’article 727 C.c.Q. exige que le testament ait été écrit soit par le testateur, soit par un tiers, mais qu’il ne peut être l’œuvre à la fois de l’un et de l’autre.

La Cour supérieure rejette cette position et conclut qu’un testament devant témoins peut être valide même s’il n’est pas rédigé entièrement par le testateur ou entièrement par un tiers. La juge Châtelain fait une revue exhaustive de la portée que revêt en droit québécois la conjonction « ou ». Elle souligne que son sens usuel devrait être de nature « alternative inclusive » et non « alternative exclusive ». En d’autres mots, la conjonction « ou » doit par défaut s’interpréter en droit québécois comme voulant dire « l’un ou l’autre ou les deux »[1]. Cela ne veut pas dire que cette conjonction ne pourrait suivant le contexte avoir un sens « alternatif exclusif », mais la juge rappelle le principe d’interprétation suivant lequel il ne faut pas « restreindre le sens d’une expression là où le législateur n’a pour sa part posé aucune restriction ».

Vous pouvez être en accord ou en désaccord avec cette interprétation ou… à la fois en accord et désaccord!

[1] Voir Béton Brunet Ltée. c. Vignola, ès qualités du juge, 2013 QCCS 3774, par. 66-68 ; Létourneau (Succession de) c. Germain (Succession de), 2013 QCCS 518, para. 84