Responsabilité des gestionnaires de fonds d’investissement au Canada
8 juillet 2020
Marie-Noël Rochon et
Monica-Ann Jarry (étudiante)
Le récent arrêt de la Cour d'appel d'Ontario dans l'affaire Wright c. Horizons ETFS Management (Canada) confirme la tendance vers une responsabilité accrue pour les gestionnaires de fonds d'investissement au Canada.
Contexte
Dans Wright c. Horizons ETFS Management (Canada) Inc., 2020 ONCA 337, la Cour d’appel de l’Ontario infirme un jugement de première instance qui avait refusé la certification d’une action collective. Celle-ci avait été déposée au nom d’investisseurs d’un fonds négocié en bourse constitué de produits dérivés pour compte propre (« FNB » ou le « Fonds ») conçu et géré par Horizons ETFS Management (Canada) Inc. (« Horizons »). Le Fonds devait offrir une exposition inverse à la volatilité des marchés boursiers. Le prospectus décrivait le Fonds comme étant « hautement spéculatif » et « impliquant un haut degré de risque ». Les parts du Fonds étaient distribuées à des investisseurs de détail. Le 5 février 2018, le Fonds a perdu près de 90% de sa valeur et le 10 avril 2018, Horizons a fermé le Fonds.
Wright allègue qu’Horizons a été négligente dans la conception, le développement, l’offre et la promotion du Fonds, lequel était soi-disant « voué à l’échec ». Wright soutient également que les informations fournies par Horizons ne reflétaient pas la réelle nature et la portée du risque et qu’Horizons n’a pas agi comme une gestionnaire de fonds prudente et diligente, notamment en ne surveillant pas adéquatement la stratégie d’investissement du Fonds. Finalement, Wright plaide que le prospectus fourni par Horizons contenait des informations fausses ou trompeuses au sens de l’article 130 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario, R.S.O. 1990, c. S.5. (« LVMO »).
Le juge Perell de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a refusé la demande de certification et a rejeté l’action, concluant qu'il était manifeste qu’aucun recours en négligence n'existait contre Horizons.
Le juge Perell a d’abord conclu que la demande de Wright n’appartenait à aucune des catégories reconnues d’obligations de diligence quant aux pertes purement économiques (lesquelles incluent notamment la fourniture négligente d’un produit de mauvaise qualité ou la prestation négligente d’un service). Il s’est ensuite demandé s’il était approprié de reconnaître une nouvelle obligation de diligence dans ce contexte et a conclu que ce nétait pas le cas.
Bien que le juge Perell se soit dit prêt à reconnaître l’existence d’un lien de proximité entre Horizons et les investisseurs du Fonds, il a jugé que toute obligation de diligence découlant de ce lien était limitée par la portée restreinte des engagements souscrits par Horizons. Selon lui, Horizons n’avait pas garanti de rendements ni représenté qu’elle allait gérer activement le Fonds. Pour lui, Horizons s’était simplement engagée à mettre sur le marché un FNB opérant de la manière décrite dans les documents de divulgation, ce qui fut le cas. Le juge Perell a par ailleurs conclu qu’il existait des considérations de politique résiduelles susceptibles d’écarter l’imposition d’une obligation de diligence pour une perte purement économique de la nature proposée par Wright.
Le juge Perell a accepté qu’il devrait y avoir un recours statutaire pour des informations fausses ou trompeuses communiquées lors du placement de parts de FNB, lesquels représentent une portion substantielle et grandissante du marché actuel de l’investissement de détail. Ce jugement soulevait toutefois la question nouvelle à savoir si un recours pour représentations fausses ou trompeuses lors de la vente de FNB pouvait se fonder sur l’article 130 de la LVMO (informations fausses ou trompeuses sur le marché primaire) ou si un tel recours se limite à l’article 138.3 de la LVMO (informations fausses ou trompeuses sur le marché secondaire). Le juge Perell a conclu que Wright et les autres membres du groupe n’avaient pas de recours sous l’article 130 de la LVMO.
La Cour d’appel d’Ontario
La Cour d’appel de l’Ontario a accueilli l’appel en partie, jugeant que la demande introductive d’instance soulevait des causes d’action raisonnables, et a retourné l’affaire devant le juge Perell pour qu’il statue sur les autres critères de certification du recours proposé.
Le juge Thorburn j.c.a, rédigeant les motifs d’une Cour unanime, indique être d’avis que les deux recours proposés sont valides. Quant au recours en négligence, il conclut que Wright a des chances raisonnables de démontrer que sa demande appartient à une catégorie reconnue d’obligation de diligence, soit la prestation négligente d’un service, et que la situation est analogue à celle de l’affaire Cannon v. Funds for Canada Foundation[1], qui portait sur un stratagème d’évasion fiscale infructueux. Par ailleurs, la Cour conclut qu’Horizons, comme gestionnaire du Fonds, avait également un lien de proximité avec les investisseurs et qu'elle s’était engagée auprès d’eux à agir honnêtement, de bonne foi et dans les meilleurs intérêts du Fonds, et à exercer un degré de prudence et de diligence qu’une personne raisonnable exercerait dans les mêmes circonstances.
La Cour d’appel ne souscrit pas à la conclusion du juge Perell que toutes les parts du Fonds devraient être traitées comme relevant du marché secondaire, de telle sorte que seul l’article 138 de la LVMO aurait été applicable. La Cour note que les investisseurs ne savaient pas, au moment d’acheter leurs parts, s’ils recevraient de nouvelles parts (des « Creation Units ») ou plutôt des parts déjà en circulation sur les marchés boursiers. L’amalgame des Creation Units avec des parts achetées sur le marché secondaire ne devrait pas empêcher des acquéreurs de Creation Units de faire valoir leurs droits sous l’article 130 de la LVMO. Wright n’avait toutefois pas invoqué les faits nécessaires pour établir qu’il possède un recours sous l’article 130 de la LVMO. La Cour lui a donc accordé l’autorisation d’amender sa demande afin d’adresser cette question.
La décision de la Cour d’appel n'autorise pas la poursuite en tant qu’action collective. Wright devra en effet démontrer qu’il rencontre les autres critères de certification afin de procéder au procès sur le fond.
Une tendance vers des devoirs accrus pour les gestionnaires de fonds
Dans l’affaire Asselin c. Desjardins Cabinet de services financiers inc.[2], la Cour d’appel du Québec discute longuement des régimes de responsabilité extracontractuelle et contractuelle, et de comment ces régimes doivent être traités par les tribunaux québécois dans le contexte de demandes d’autorisation d’actions collectives dans le domaine des valeurs mobilières.
Asselin plaide que Desjardins Gestion Internationale d'Actifs inc. (« DGIA ») a engagé sa responsabilité en raison de sa conception et de sa gestion négligente de produits d’investissement. La Cour d’appel a autorisé l’action collective tant en vertu du Code de procédure civile que de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec, RLRQ c. V-1.1 (« LVMQ »), et ce, sur la base des allégations d’Asselin contre DGIA quant aux fautes reprochées, au dommage subi (perte de rendement, perte en capital, troubles et inconvénients) et à l’existence d’un lien de causalité entre le dommage et les fautes.
La responsabilité délictuelle pour manquement à une obligation de diligence (« tort of negligence ») n’existe pas en droit civil québécois. Il faut plutôt se référer aux principes de la responsabilité extracontractuelle et et de la responsabilité contractuelle, que l’on retrouve aux articles 1457 et 1458 du Code civil du Québec. Ainsi, le demandeur représentant le groupe doit démontrer la faute, les dommages et l’existence d’un lien de causalité.
Quant aux recours statutaires pour informations fausses ou trompeuses sous la LVMO et la LVMQ, ils sont très similaires. Les similitudes entre les deux régimes sont d’ailleurs mises en évidence par la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Theratechnologies inc. c. 121851 Canada inc.[3].
Sous les régimes juridiques de l’Ontario et du Québec, la tendance semble donc se diriger vers une responsabilité accrue pour les gestionnaires de fonds d’investissement. Les décisions Wright et Asselin, rendues par les Cours d’appel de l’Ontario et du Québec respectivement, suggèrent que les gestionnaires de fonds peuvent être tenus responsables pour la mauvaise conception de fonds, notamment les FNB, et pour l’omission de dévoiler adéquatement tous les risques qui y sont associés.
[1] 2012 ONSC 399, 13 C.P.C. (7th) 250.
[2] 2017 QCCA 1673; La demande d’autorisation d’appel fut accueillie, 2019 CanLII 58133 (SCC), en attente de la décision sur le fond.
[3] 2013 QCCA 1256, para 68; confirmée sur ce point par la Cour suprême du Canada: Theratechnologies inc. c. 121851 Canada inc., (2015) 2 RCS 106, para 32.