Clauses d’élection de for: naviguer les frontières du droit international privé en toute liberté contractuelle

27 janvier 2025

Introduction

La clause d’élection de for permet de désigner à l’avance la juridiction où les parties pourront intenter une action en cas de différend dans le cadre de leur relation contractuelle.

Ces clauses sont dites optionnelles lorsque les parties peuvent s’en prévaloir ou non. Elles peuvent également être asymétriques, lorsque seulement une partie a la faculté d’y avoir recours.

Or, à quel point la liberté contractuelle, exprimée à travers une clause d’élection de for à la fois optionnelle et asymétrique, peut limiter la compétence des tribunaux québécois quant au fond d’un litige ainsi qu’en matière de mesures provisoires ou conservatoires (e.g. en cas de saisie avant jugement)?

La Cour d’appel a récemment apporté un éclairage à cet effet dans l’arrêt Almassa International inc. c. Crédit Libanais SAL, 2024 QCCA 736.

Contexte

Almassa International Inc. (« Almassa »), une compagnie québécoise opérant dans la vente de produits en bois au Moyen-Orient et en Europe, avait des comptes bancaires avec Crédit Libanais SAL (« Crédit Libanais »), une banque libanaise. Le contrat prévoyait une clause d’élection de for optionnelle et asymétrique au bénéfice exclusif de Crédit Libanais, laquelle lui permettait de choisir parmi trois options de for pour toute poursuite éventuelle.

En 2019, le Liban traverse une crise économique et son PIB s’atrophie à un rythme alarmant, entraînant des restrictions législatives et réglementaires sur les transferts de fonds à l’étranger. Almassa tente alors de transférer des fonds de ses comptes libanais vers le Québec, mais Crédit Libanais refuse. Almassa intente dès lors une poursuite au Québec contre Crédit Libanais pour un montant de 625 248,37 $ et exécute une saisie avant jugement de 85 128,44 $ auprès de la Banque de Montréal, cette dernière ayant une entente de services bancaires avec Crédit Libanais.

Or, Crédit Libanais refuse de reconnaître la compétence des tribunaux québécois  à la suite de l’institution des procédures par Almassa, invoquant la clause d’élection de for au contrat bancaire  à titre d’exception déclinatoire.

Donnant raison à Crédit Libanais, le juge de première instance accueille l’exception déclinatoire et rejette conséquemment la demande introductive d’instance d’Almassa, sans prononcer sur la question de la saisie avant jugement.

L’arrêt de la Cour d’appel

Bien que la Cour d’appel maintienne le rejet de la demande introductive d’instance d’Almassa, elle déclare néanmoins valide la saisie avant jugement effectué à l’encontre de Crédit Libanais au Québec.

Trois angles sont abordés par la Cour :

  1. La possibilité pour une partie d’instituer des procédures au Québec en présence d’une clause d’élection de for asymétrique, qui n’offre qu’à l’une des parties la discrétion de s’en prévaloir;
  2. La compétence de nécessité des tribunaux québécois en présence d’une clause d’élection de for;
  3. La compétence des tribunaux québécois de rendre une ordonnance provisoire ou conservatoire, même s’ils n’ont pas compétence sur le fond du litige.

Premièrement, la Cour rejette l’argument d’Almassa selon lequel la clause d’élection de for accorde compétence aux tribunaux québécois malgré la discrétion accordée à la banque pour choisir le for.

L’article 3148 du Code civil du Québec reconnaît la primauté de l’autonomie de la volonté des parties lorsqu’il est question d’exclure la compétence des tribunaux québécois. La Cour soutient que les clauses d’élection de for peuvent prendre plusieurs formes et que les tribunaux doivent respecter la volonté exprimée par les parties.

La clause entre Almassa et Crédit Libanais a pour effet d’exclure la compétence des tribunaux québécois sans le consentement explicite de la banque, privant ainsi les tribunaux québécois de leur compétence.

Almassa invoque également qu’il ne s’agit pas d’une clause parfaite, à savoir qu’elle est simplement optionnelle plutôt qu’impérative. La clause d’élection de for, pour être parfaite, doit avoir un caractère impératif et conférer une compétence exclusive de manière claire et précise[1]. Or, la Cour indique que le fait que la clause soit asymétrique, optionnelle ou qu’elle désigne plus d’un for n’affecte pas pour autant sa validité et, partant, le caractère impératif de cette clause qui prive les tribunaux québécois de leur compétence.

Ce faisant, la Cour d’appel confirme sa position antérieure concernant la validité de clauses laissant l’élection du for à la discrétion d’une des parties[2].

Deuxièmement, la Cour d’appel rejette l’argument de compétence de nécessité soulevé par Almassa en vertu de l’article 3136 du Code civil du Québec. La compétence de nécessité permet aux tribunaux québécois de se saisir d’une affaire à l’égard de laquelle ils n’auraient autrement pas compétence, à condition notamment que soit démontrée l’impossibilité d’introduire des procédures dans la juridiction compétente ou qu’il serait déraisonnable de l’exiger.

Pour soutenir la validité des procédures qu’elle introduit au Québec, Almassa met de l’avant l’instabilité économique au Liban, qui y rendrait difficile l’exécution d’un jugement en sa faveur et, de ce fait, la forcerait à instituer des procédures inutiles.

La Cour rejette la thèse d’Almassa en y exposant deux failles. D’une part, « [d]es allégations générales dans l’argumentation ne suffisent pas » pour démontrer, notamment, que « les institutions gouvernementales au Liban, dont les tribunaux, sont à la dérive », soulève la Cour. La preuve est « bien mince », résume-t-elle, laissant néanmoins une porte ouverte: si Almassa découvre ultérieurement que les tribunaux libanais sont effectivement non-fonctionnels, elle pourrait alors intenter un nouveau recours au Québec. D’autre part, la Cour relève que si la difficulté avancée par Almassa en est une d’exécution de jugement, rien ne l’empêche d’obtenir un jugement au Liban, puis de le faire exécuter ailleurs.

Finalement, consolation pour Almassa : la Cour d’appel maintient la saisie avant jugement des fonds de Crédit Libanais. Malgré leur absence de compétence sur le fond du litige, les tribunaux québécois peuvent néanmoins ordonner des mesures provisoires ou conservatoires, à condition que des procédures aient été instituées dans une autre juridiction. Suivant l’approche de l’arrêt DDH Aviation Inc. v. Fox[3], la Cour d’appel déclare valide, pour une période de 60 jours suivant l’arrêt, la saisie opérée, de façon à permettre à Almassa d’intenter des procédures au Liban dans cet intervalle.

Conclusion

La clause d’élection de for se retrouve dans les contrats de toutes industries. Cette récente décision de la Cour d’appel démontre l’importance d’anticiper leurs impacts potentiels lors de la rédaction de contrats à caractère international, mettant en évidence toute l’étendue de la liberté contractuelle dont les parties disposent lorsqu’il est question du choix du tribunal compétent, mais également l’importance de se ménager une preuve et une stratégie appropriées pour pallier les difficultés pratiques d’une clause d’élection de for asymétrique.

Il s’agit là d’un judicieux rappel de la pertinence d’aborder une réflexion stratégique quant à un éventuel différend dès la rédaction d’ententes commerciales ayant un caractère international. En prévoyant une clause d’élection de for, notamment optionnelle et/ou asymétrique, une partie peut maximiser la protection de ses intérêts juridiques et commerciaux par sa faculté de choisir le forum qui lui sied le mieux.

La Cour d’appel souligne par ailleurs un élément crucial pour une partie qui ferait face à une clause d’élection de for qui lui nuit : une preuve étayée suffisante. Dans ce cas-ci, la Cour refuse d’épouser une thèse alléguant le dysfonctionnement d’institutions étrangères par de simples allégations générales. Comme elle le soulignait en 2022[4], un dossier factuel suffisant est nécessaire pour ouvrir la voie à la compétence de nécessité des tribunaux québécois, qui requiert des raisons exceptionnelles. La préparation d’un dossier étoffé et d’une argumentation solide est donc impérative pour esquiver les effets d’une clause d’élection de for désavantageuse.

 

[1] United European Bank and Trust Nassau Ltd. c. Duchesneau, 2006 QCCA 652, para. 39.

[2] Ibid., para. 71.

[3] J.E. 2002-1293, paragr. 47-48.

[4] Otsuka Pharmaceutical Company Limited c. Pohoresky, 2022 QCCA 1230, par. 10-12