Changement de district et facteurs à considérer : Commentaires sur la décision Autorité des marchés financiers c. Agro Tech Ventures 1 inc., 2025 QCCS 1339

13 juin 2025

Introduction

Le 29 avril 2025, la Cour supérieure du Québec, sous la plume de l’Honorable juge en chef, a rendu une décision d’intérêt dans l’affaire Autorité des marchés financiers c. Agro Tech Ventures 1 inc.[1], (« Agro Tech »), en ordonnant le transfert du dossier du district judiciaire de Québec vers celui de Montréal. Ce jugement se distingue par sa prise en compte d’un motif inédit à l’appui d’une telle demande : l’impact du choix antérieur des avocats des défendeurs, dans un contexte procédural connexe.

Les défendeurs soutenaient que la complexité de l’affaire, la multiplicité des parties et leur répartition géographique, ainsi que l’historique procédural justifiaient le changement de district. Ils invoquaient notamment le fait que leurs avocats, déjà impliqués dans des procédures antérieures intentées par la demanderesse, l’Autorité des marchés financiers (AMF) à Montréal, étaient les plus aptes à assurer leur défense sans engendrer des frais et inconvénients excessifs. L’AMF s’opposait à cette demande, arguant notamment que le domicile professionnel des avocats n’était pas un critère pertinent aux fins d’un transfert de district et qu’une telle demande doit demeurer exceptionnelle.

Or, la Cour a donné raison aux défendeurs, concluant qu’ils subiraient un préjudice indu si le dossier demeurait à Québec. Afin d’en arriver à cette conclusion, la Cour a notamment considéré que le choix de procureurs des défendeurs précédait l’introduction de la présente instance.

 

Le domicile professionnel des avocats comme facteur de rattachement dans des circonstances particulières

En principe, le tribunal territorialement compétent est celui du domicile du défendeur[2]. Toutefois, l’article 42 du Code de procédure civile permet au demandeur de retenir un autre district judiciaire, à son choix, dans plusieurs matières. Ce faisant, le transfert d’une instance d’un district judiciaire compétent vers un autre demeure une mesure exceptionnelle. Un tel renvoi peut être ordonné à toute étape de l’instance, pourvu qu’il serve l’intérêt des parties, de tiers concernés ou qu’il réponde à des motifs sérieux.[3]

Dans l’affaire Agro Tech, les circonstances particulières du dossier militaient fortement en faveur d’un transfert vers le district de Montréal. L’instance concernait 25 défendeurs et 407 investisseurs indemnisés. Aucun défendeur n’était domicilié dans le district de Québec, la majorité résidait à Montréal, et certains dans les districts voisins de Longueuil, Laval et Terrebonne. Du côté des investisseurs, seulement une trentaine sur 407 résidaient à Québec, la grande majorité étant domiciliée à Montréal. L’AMF alléguant par ailleurs être substituée dans les droits de ces investisseurs, leur participation dans le litige devrait être limitée.

De plus, les faits reprochés – incluant la conclusion des contrats, les fautes alléguées et les préjudices invoqués – se seraient majoritairement produits dans la région montréalaise. Le procès nécessitera de nombreuses journées d’audience, avec la participation de nombreux témoins et parties domiciliés dans la région de Montréal. Le maintien du dossier à Québec aurait ainsi entraîné des déplacements considérables et des frais additionnels pour l’ensemble des intervenants.

Enfin, les défendeurs soulignaient que les procédures antérieures intentées par l’AMF contre eux avaient été introduites à Montréal, et qu’ils avaient mandaté les mêmes avocats que dans ces procédures, lesquels possédaient une connaissance approfondie des faits et du contexte du litige. Les défendeurs invoquaient donc qu’un changement de district judiciaire dans le cadre de ce litige connexe, au seul motif d’un choix unilatéral de la demanderesse, aurait porté atteinte à leur droit de choisir librement leur avocat, surtout dans un dossier complexe aux ramifications procédurales multiples.

Dans ses considérants, la Cour retient ce dernier point, à savoir que des procédures antérieures connexes, antérieures au dépôt de la demande introductive d’instance et dans le cadre desquelles des procureurs avaient été retenus, constituaient un facteur pertinent dans l’évaluation de la balance des inconvénients.

 

Conclusion

La décision Agro Tech établit un précédent intéressant en matière de transfert de district judiciaire. Elle reconnaît que dans des circonstances exceptionnelles, le choix antérieur d’un avocat, lorsqu’il est justifié par des procédures connexes antérieures, peut constituer un motif légitime militant en faveur du transfert d’un dossier.

En l’espèce, le choix par les défendeurs de leurs avocats prédatait le dépôt de la demande introductive d’instance. Ce choix n’était donc pas opportuniste, mais plutôt le prolongement logique d’un litige déjà amorcé dans un autre district judiciaire. En retenant cet argument, la Cour innove, ouvrant la porte à une interprétation plus nuancée des motifs pouvant permettre de passer outre à la compétence territoriale, fondée sur la réalité procédurale et logistique des parties.

[1] 2025 QCCS 1339.

[2] Art. 41 C.p.c.

[3] Art. 48 C.p.c.