Rejet partiel d’une demande d’action collective? La Cour d’appel confirme cette possibilité

13 mars 2025

Commentaires sur l’arrêt Salko c. Financière Banque Nationale inc. et al., 2025 QCCA 74

I. Introduction

Le 30 janvier 2025, la Cour d’appel du Québec, sous la plume de l’honorable juge en chef, a rendu un arrêt important dans l’affaire Salko c. Financière Banque Nationale inc.[1] (« Salko »), dans lequel elle a rejeté l’appel de Nicolas Salko à l’encontre de la décision de la Cour supérieure qui avait refusé partiellement l’autorisation de l’action collective.

L’appelant souhaitait exercer une action collective contre plusieurs plateformes de courtage en direct afin de réclamer le remboursement de frais de conversion de devises pour des opérations effectuées sur des titres transigés sur des bourses étrangères, et ce, tant en vertu de la Loi sur la protection du consommateur[2] (« L.p.c. ») que du régime général prévu par le Code civil du Québec[3] (« C.c.Q. »). La Cour Supérieure avait autorisé l’action collective uniquement en vertu de ce dernier régime.

Dans sa décision, la Cour d’appel confirme en tout point le raisonnement de la Cour supérieure et précise certains éléments quant à la possibilité pour le juge autorisateur de trancher une pure question de droit au stade de l’autorisation ainsi que sur l’exclusion mutuelle de la L.p.c. et de la Loi sur les valeurs mobilières[4] (« L.v.m. »).

II. La décision de première instance

Dans une décision étoffée, la Cour supérieure autorisait partiellement l’action collective sur la base des articles 1491 et 1554 du C.c.Q.

Toutefois, la Cour supérieure conclut que le recours basé sur la L.p.c. était voué à l’échec en raison de l’exclusion prévue à l’article 6 a) de la L.p.c. visant les opérations déjà encadrées par la L.v.m. En effet, pour le juge de première instance, la conversion de devises est indissociable de l’achat ou de la vente de valeurs mobilières sur un marché étranger, car sans telle transaction, il n’y a pas de conversion. Les clauses du contrat de courtage concernant la conversion de devises sont donc régies par la L.v.m. et, partant, exclues de l’application de la L.p.c.

Pour en arriver à cette conclusion et refuser partiellement l’autorisation de l’action collective, le juge de première instance avait conclu être en mesure de trancher une question de droit au stade de l’autorisation, car cette question ne nécessite pas l’éclairage d’une preuve additionnelle.

III. L’arrêt de la Cour d’appel

  1. Possibilité de trancher une pure question de droit au stade de l’autorisation

La Cour d’appel confirme que le juge chargé d’analyser une demande pour autorisation d’exercer une action collective peut trancher une pure question de droit au stade de l’autorisation, même si cette question n’emporte pas le sort de la demande d’autorisation dans son ensemble. Cette décision vient donc préciser les enseignements de la Cour suprême du Canada dans les décisions L’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal c. J.J.[5] et Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin[6], qui mentionnaient toutes deux que le tribunal est en mesure de trancher une question de droit au stade de l’autorisation « si le sort de l’action collective projetée en dépend ».

Contrairement à la prétention de l’appelant, la Cour d’appel ne retient pas que le sort de la demande d’autorisation doit entièrement dépendre d’une question de droit pour permettre au juge autorisateur de la trancher. La Cour d’appel indique plutôt que le juge autorisateur doit analyser distinctement les différentes causes d’action de la demande d’autorisation et se prononcer sur chacune d’entre elles. Autrement dit, le fait pour le juge autorisateur de conclure à l’existence d’une cause d’action défendable ne l’empêche pas de filtrer les autres causes d’action soulevées dans la demande d’autorisation. Une telle interprétation est incohérente eu égard aux articles 575(2) et 576 du Code de procédure civile[7] (« C.p.c. »), qui permettent au juge d’identifier les causes d’action défendables et les principales questions à traiter collectivement dans le cadre de l’action collective. En bref, selon la Cour d’appel, le juge autorisateur est apte à trancher une pure question de droit, dans la mesure où cette dernière ne nécessite pas l’administration d’une preuve plus complète que celle offerte au stade de l’autorisation d’une action collective.

Par ailleurs, la Cour d’appel souligne que cette approche permet une gestion plus efficace des ressources judiciaires et évite de déférer des questions de droit non fondées au juge du fond. Il s’agit également d’une interprétation qui est cohérente avec le principe de l’irrecevabilité partielle qui est prévue au C.p.c. depuis sa refonte en 2016.

  1. Inapplicabilité de la L.p.c. à un contrat accessoire à une opération régie par la L.v.m.

Selon l’appelant, bien que l’article 6 a) de la L.p.c. prévoit l’exclusion des opérations régies par la L.v.m. de son application, la conversion de devises devait être considérée distinctement et pouvait être assujettie à l’application de la L.p.c., puisque la transaction en elle-même ne requiert pas forcément de conversion et cette conversion pourrait tout à fait survenir dans un contexte différent que celui de la transaction sur un marché.

La Cour d’appel ne souscrit pas à cette position. Après une analyse étayée sur l’historique législatif de la L.p.c. et les débats parlementaires entourant son adoption, la Cour d’appel conclut plutôt qu’il est clair que le législateur a choisi d’exclure complètement les opérations sur des valeurs mobilières de l’application de la L.p.c., puisque la L.v.m. prévoit déjà un régime de protection pour les épargnants et l’ajout d’un régime de protection des consommateurs ferait double emploi, en plus d’engendrer un potentiel conflit entre ces deux régimes.

La Cour d’appel précise également que la conversion de devises ne peut être considérée de façon distincte à l’opération à laquelle elle se rattache, à savoir une transaction de valeurs mobilières en l’espèce, puisqu’elle en est l’accessoire. Ainsi, dans la mesure où le contrat principal touche des transactions de valeurs mobilières et est régit par la L.v.m., le contrat accessoire concernant la conversion de devises se doit d’être automatiquement exclu de l’application de la L.p.c., au même titre que le contrat principal.

Sur ce dernier point, la Cour d’appel ajoute par ailleurs que la prétention de l’appelant à l’effet que la L.v.m. ne s’appliquerait pas lorsque les opérations sur des valeurs mobilières seraient effectuées sur des marchés étrangers, même par des sociétés de courtage établies au Québec, semble dénuée de tout fondement. Il s’agirait d’une interprétation allant à l’encontre de l’objectif de cette loi.

IV. Conclusion

Cet arrêt clarifie des points essentiels sur la possibilité pour un juge d’autoriser partiellement une action collective en tranchant une pure question de droit et sur le caractère mutuellement exclusif de la L.v.m. et de la L.p.c. dans un contexte d’opérations accessoires à une transaction de valeurs mobilières.

[1]     2025 QCCA 74.

[2]     RLRQ, c. P-40.1.

[3]     RLRQ, c. CCQ-1991.

[4]     RLRQ, c. V-1.1.

[5]   2019 CSC 35, par. 55.

[6]   2020 CSC 30, par. 154.

[7]   RLRQ, c. C-25.01.